Texte d’opinion publié dans Le Devoir le 13 mai 2025.

Menaces, annonces tarifaires, reculs : depuis janvier, notre voisin du Sud multiplie les manœuvres pour renégocier les accords de libre-échange à sa guise. Ce bras de fer laisse planer l’incertitude quant aux répercussions qui se feront sentir jusqu’au cœur de nos communautés.

Dans ce climat de turbulence, on aurait pu espérer un débat public tourné vers l’avenir, articulé autour des grands défis de notre époque : crise de l’abordabilité, urgence environnementale, transition énergétique. Pourtant, les réponses avancées jusqu’ici relèvent trop souvent d’automatismes d’un autre temps, comme le retour de projets d’infrastructures utiles à l’industrie des combustibles fossiles, plutôt que des transformations que notre époque exige.

Le climat d’incertitude actuel devrait nous pousser, plutôt qu’à retomber dans ces réflexes usés, à agir autrement. À imaginer une économie véritablement résiliente, centrée sur les besoins concrets de nos communautés, et ancrée dans le respect des limites de nos écosystèmes. Un virage s’impose.

La tenue simultanée, cette semaine, du Sommet de la finance durable et du Sommet de l’économie sociale nous offre un rare moment de convergence. Et si l’on saisissait cette occasion pour penser, ensemble, une réponse cohérente et structurante aux défis du XXIe siècle ?

Ancrer la finance dans la transformation positive de l’économie

Alors même que la transformation du secteur financier devrait s’accélérer, l’élan autour des critères ESG (concernant les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance) semble menacé, certaines personnes allant jusqu’à remettre en question leur pertinence. Ce recul ne doit pas nous paralyser. Il peut, au contraire, ouvrir un espace où repenser en profondeur le rôle que la finance doit jouer dans la transformation de notre économie.

Une finance réellement durable ne peut pas se limiter à intégrer des critères ESG dans sa gestion de risques. Elle doit servir de moteur pour répondre aux besoins pressants de nos communautés : accès au logement, sécurité alimentaire, transports collectifs, transition énergétique. Autant d’enjeux qui exigent des investissements structurants.

L’économie sociale, quant à elle, incarne depuis longtemps des réponses concrètes à ces besoins. Qu’il s’agisse de logements placés à l’abri de la spéculation, de transport adapté ou de services aux aînés, ses entreprises transforment le quotidien de milliers de personnes. Malgré cela, leur capacité d’impact reste régulièrement freinée par un accès limité aux capitaux.

Trop souvent, les mondes de la finance durable et de l’économie sociale avancent en parallèle. Pourtant, les défis que nous affrontons exigent une réponse collective, structurée et enracinée.

La finance est un levier puissant. Et si, face à une économie mondiale qui se fragmente, elle permettait de revitaliser des centres-villes, d’implanter des épiceries dans les déserts alimentaires, de faciliter le repreneuriat collectif, de financer des projets portés par nos communautés ? Réclamons que notre argent travaille à bâtir un avenir vivant, résilient et enraciné dans nos collectivités.

Le Québec a des atouts uniques pour y parvenir. Et c’est en conjuguant nos forces que nous pourrons tisser les liens qui manquent et faire émerger une vision claire, à la hauteur des défis de notre époque.

Repenser ensemble le rôle du secteur financier

C’est dans cette optique que nous lançons Virage collectif, afin de rassembler des acteurs d’horizons variés et de développer ensemble les outils d’une finance qui travaille pour nos communautés, dans le respect des limites de nos écosystèmes.

Les chantiers à entreprendre sont multiples : définir un rôle et des obligations claires pour l’exemplarité de nos institutions publiques, mieux impliquer les collectivités dans les décisions financières qui les concernent, réorienter les flux financiers vers les projets axés sur la transition socioécologique et fermer le robinet aux investissements qui mettent nos milieux de vie à risque, comme de nouvelles infrastructures liées aux énergies fossiles. Toutes ces transformations sont essentielles pour aligner notre système financier sur l’intérêt collectif.

À cette fin, un dialogue ouvert et structuré entre acteurs financiers, entreprises, institutions publiques, milieu de la recherche et société civile est indispensable.

C’est à ce carrefour que nous devons nous retrouver. Y serez-vous ?

Le Québec a su faire des choix audacieux par le passé pour façonner son avenir économique. Il est temps de renouer avec cette ambition. La suite, nous devons l’écrire ensemble.

Signataires :

Maxime Perrault, directeur de Virage Collectif

France Pomminville, directrice générale du projet Réalité climatique Canada

Geneviève Paul,  directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement 

Karine Péloffy, cheffe de projet finance durable à Ecojustice

Alice Chipot,  chercheuse indépendante, engagée pour une finance au service du bien commun 

Abir Samih, coordinatrice du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE)