Face à une menace à la qualité de l’environnement, le silence nuit à l’intérêt public. Pollution hors normes d’un cours d’eau, remblai illégal, destruction de l’habitat essentiel d’une espèce en situation précaire etc… Chaque atteinte à notre environnement mérite d’être signalée afin que des vérifications soient faites et que les mesures appropriées soient prises. Les personnes qui défendent la nature et le droit humain à un environnement sain doivent pouvoir le faire en toute sécurité, comme le réaffirment les Nations Unies dans la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme.
Certaines personnes hésitent à rapporter une situation par crainte de représailles ou de conséquences juridiques néfastes. En identifiant des précautions à prendre, cet article vous permet de vous prémunir contre les principaux risques associés à la dénonciation de situations qui menacent l’environnement. Si, après avoir sonné l’alarme en prenant les précautions nécessaires, une personne reçoit une mise en demeure ou une procédure judiciaire, il y a aussi lieu de se demander s’il s’agit d’une poursuite-bâillon ou d’une démarche similaire.
Le principe de base est que la diffusion d’information qui est déjà connue du public est tout à fait légale. La manière dont l’information est obtenue, l’objectif de la dénonciation et le moyen de communication choisi pour sonner l’alarme sont des facteurs importants. Voici quelques explications.
L’importance de s’adresser aux autorités compétentes
La première étape pour agir face à une situation alarmante devrait être de contacter les autorités publiques qui ont les pouvoirs pour agir. Il peut par exemple s’agir des entités suivantes, dépendamment de la situation :
- le ministère provincial de l’Environnement (notamment en cas d’infraction soupçonnée à la Loi sur la qualité de l’environnement);
- le ministère fédéral Environnement et Changement climatique Canada (notamment en cas d’infraction soupçonnée à la Loi sur les espèces en péril);
- la municipalité locale (notamment en cas d’infraction souponnée aux règles d’urbanisme comme celles d’un règlement de zonage);
- la MRC (notamment en cas d’entrave à un cours d’eau);
- le Bureau de la concurrence du Canada ou l’Office de la protection du consommateur du Québec (notamment en cas d’écoblanchiment).
Dans la majorité des cas, les autorités concernées disposent de pouvoir d’inspection, d’enquête, et de sanction. Il est donc tout indiqué de leur communiquer toute l’information disponible pour que des mesures soient prises.
Il peut arriver que l’autorité compétente ne prenne pas de mesures suffisantes pour rectifier la situation ou même pour vérifier sa légalité. Il se peut aussi que la situation, bien que problématique pour l’environnement, soit légale. Dans de telles circonstances, il peut être d’autant plus pertinent de renseigner le public sur une situation qui met en jeu son intérêt, que ce soit en attirant l’attention des média, en publiant une lettre ouverte, en utilisant leur médias sociaux, etc. Lorsque cette voie est choisie, il faut faire preuve de prudence dans la manière de communiquer l’information pertinente.
Comment éviter les principaux risques de poursuite lorsqu’on diffuse de l’information ?
Lorsqu’on diffuse publiquement une information qui concerne quelqu’un d’autre, il est notamment important de respecter ses droits à la réputation et à la vie privée. Tant les personnes physiques que les personnes morales bénéficient de ces droits. Or, bien que reconnus par la Charte québécoise et par le Code civil du Québec, ces droits ne sont pas absolus. Leur portée dépend du contexte et de l’intérêt du public à ce que l’information soit diffusée.
Diffamation ou atteinte à la réputation
Toute personne a droit au maintien de sa réputation. Porter atteinte à ce droit peut donc mener à des conséquences juridiques. La diffamation consiste à communiquer des propos qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle peut découler de trois types de situations :
- Vous diffusez des propos désagréables à l’égard d’un tiers en les sachant faux.
- Vous diffusez des propos désagréables à l’égard d’un tiers alors que vous auriez dû les savoir faux.
- Vous diffusez des propos désagréables, mais véridiques à l’égard d’un tiers, sans justification suffisante.
Ainsi, le concept de diffamation met en opposition deux droits fondamentaux, soit la liberté d’expression et le droit à l’honneur et à la réputation. Lorsque les propos sont véridiques mais qu’ils risquent de nuire à la réputation d’une personne, leur diffusion peut être justifiée si elle est d’intérêt public. Les questions de protection de l’environnement constituent généralement, aux yeux des tribunaux, une justification fondée sur l’intérêt public qui permet de publier des informations qui nuisent à la réputation d’autrui, dans la mesure où elles sont obtenues légalement et qu’elles se limitent à ce qui est pertinent pour le public.
Quoi en retenir ?
Avant de diffuser des propos sur quelqu’un d’autre (incluant une entreprise) en lien avec un enjeu environnemental, il est important de faire d’abord des efforts raisonnables pour s’assurer de ne pas diffuser une information fausse. Il faut ensuite s’assurer que la divulgation soit dans l’intérêt public, sans quoi l’atteinte à la réputation pourrait être injustifiée. Pour limiter les risques, il faut se limiter à l’essentiel. Notamment, il est judicieux de se limiter aux informations factuelles et d’éviter de prêter à quiconque des intentions malveillantes. En effet, il faut présumer que toute personne est de bonne foi, jusqu’à preuve du contraire.
Atteinte à la vie privée
Un autre aspect que l’on doit considérer est la possibilité que la publication d’une information porte atteinte à la vie privée d’autrui, puisque toute personne a droit au respect de sa vie privée. Il est interdit d’y porter atteinte sans que la personne « y consente ou sans que la loi l’autorise ». La loi considère notamment les actions suivantes comme des atteintes à la vie privée : pénétrer chez quelqu’un, intercepter ou utiliser volontairement une communication privée, capter ou utiliser l’image ou la voix d’une personne lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés, utiliser sa correspondance ou ses documents personnels.
En cas de poursuite pour atteinte à la vie privée, les tribunaux évalueront si, dans le contexte particulier des événements, la personne pouvait raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée. Ainsi, plus une personne est en droit de s’attendre au respect de sa vie privée, plus la protection juridique est forte.
L’attente de vie privée dépend entre autres du lieu concerné et de la nature des informations recueillies. Par exemple, une personne peut raisonnablement s’attendre à un grand respect de sa vie privée à l’intérieur de sa propre résidence privée. Diffuser publiquement des images ou des informations récoltées à cet endroit sans le consentement de la personne peut donc entraîner des conséquences juridiques néfastes.
À l’opposé, l’attente de vie privée sera très faible, voire nulle, lorsqu’une personne se trouve sur dans un lieu public ou encore quant à la portion d’un terrain privé qui est facilement visible à partir de la route ou d’un autre endroit public. En d’autres termes, généralement, les renseignements obtenus alors qu’ils sont à la vue de tous ne relèvent pas de la vie privée, et ce, même lorsqu’ils fournissent des informations sur la vie privée.
Quoi en retenir ?
L’étendue du droit à la vie privée doit être évaluée au cas par cas, selon les circonstances, mais de manière générale les images et informations récoltées à partir d’endroits publics ou de sources publiques (registres en ligne, etc.) font l’objet d’une protection considérablement plus faible, voire nulle. Lors de toute diffusion d’information concernant quelqu’un d’autre en lien avec un enjeu environnemental, il est pertinent de se limiter à ce qui est nécessaire pour veiller à l’intérêt public.
Cas particulier : dénoncer un acte posé par son employeur
Qu’en est-il lorsqu’un acte menaçant l’environnement est posé par une entreprise où l’on travaille ou encore où l’on est administrateur-ice ? Peut-on briser le silence sans crainte de représailles ? Les «lanceurs d’alerte» jouent un rôle central dans la mise au jour de menaces à la qualité de l’environnement en dénonçant des situations illégales ou posant une menace à l’intérêt public. Leur apport contribue directement au maintien de la responsabilité et de l’intégrité dans les secteurs public et privé. Il y a toutefois d’importantes distinctions entre les protections offertes par la loi dans ces deux secteurs.
Lorsque l’employeur est un organisme public québécois (ministère, municipalité, établissement public, etc.), la loi prévoit spécifiquement des mécanismes pour faciliter la divulgation et empêcher toutes représailles ou menaces de représailles à l’égard des lanceurs d’alerte. Tant le signalement de l’acte répréhensible commis au sein d’un organisme public que la plainte en cas de représailles doivent être faites au Protecteur du citoyen.
Dans les autres cas, par exemple lorsque l’employeur est une entreprise privée, la protection juridique des lanceurs d’alerte est moindre. Des chercheurs internationaux classent d’ailleurs le Canada parmi les pays dont la législation est la moins protectrice au monde pour les lanceurs d’alerte. Malgré cela, il existe quelques remparts pour protéger les employé·es qui sonnent l’alarme.
D’abord, un employeur ne peut pas congédier ou menacer de congédier un salarié en représailles de dénonciations que ce dernier a fait de bonne foi, dans l’intérêt public, auprès des autorités compétentes. L’employeur commettrait alors une infraction criminelle prévue au Code criminel du Canada. Cette protection ne s’applique toutefois pas pour des divulgations publiques, par exemple aux médias, mais seulement aux signalements aux autorités.
De plus, le Code civil du Québec dégage de toute responsabilité la personne qui divulgue un « secret commercial» lorsque l’intérêt général prévalait sur le maintien du secret et que la divulgation était justifiée pour des motifs liés à la santé ou à la sécurité du public.
Quoi en retenir ?
S’il semble que l’employeur a commis ou est sur le point de commettre une infraction aux lois environnementales, la première étape devrait être de le signaler aux autorités qui peuvent agir : soit auprès du Protecteur du citoyen dans le cas d’un organisme public, soit auprès des différentes institutions responsables d’appliquer la loi dans les autres cas. La divulgation au grand public doit être considérée comme une mesure de dernier recours et comme une exception au devoir général de loyauté ou de discrétion de l’employé·e. Bref, les démarches doivent viser à redresser la situation et non à nuire publiquement à l’employeur.
Attention: Cet article présente le droit en vigueur au Québec et est fourni à titre informatif uniquement. Il ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprété comme tel. Pour obtenir des conseils juridiques, vous pouvez consulter un·e avocat·e ou un·e notaire. Pour obtenir de l’information juridique, vous pouvez contacter les juristes du CQDE.
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