Introduction

Le droit de tradition occidentale adopte depuis longtemps l’approche de réglementer l’usage que les humains peuvent faire de la nature, sans la considérer comme ayant des droits en tant que telle. Certains mouvements environnementaux, en se fondant sur des traditions juridiques autochtones ou hindoues, tentent de faire valoir que la nature a des droits intrinsèques, au même titre qu’une personne. Cette revendication a trouvé écho en Nouvelle-Zélande, en Inde, en Colombie, en Bolivie et en Équateur, où la nature ou certaines de ses composantes se sont vues reconnaître la personnalité juridique. La popularité grandissante de ce mouvement justifie qu’on se demande si le droit québécois permet l’attribution d’une personnalité juridique à la nature et quels en seraient les effets. Deux avenues possibles pour l’attribution de la personnalité juridique seront abordées, soit la voie judiciaire, c’est à dire par les tribunaux, et la voie législative, c’est à dire par les lois.

Contexte québécois

En règle générale, le droit de l’environnement au Québec attribue des droits aux humains. Ainsi, les humains ont droit à un environnement sain, mais la nature elle-même n’a pas son propre droit à l’intégrité, par exemple

Au Québec, la nature n’a pas de recours pour poursuivre elle-même l’auteur des dommages qu’elle subit et obtenir compensation, le cas échéant. Ce sont notamment les citoyens, certains ministres ou le Procureur général qui peuvent intenter un recours ou émettre des constats d’infraction lorsqu’il y a une contravention à la loi. Par exemple, la Loi sur la protection du patrimoine naturel protège certains territoires contre les activités expressément nommées dans la loi, comme l’exploitation minière, pétrolière ou gazière. L’aire protégée n’a pas elle-même de recours en vertu de cette loi, qui ne prévoit que des dispositions pénales en cas de contravention à celle-ci. De plus, la loi ne prévoit pas que l’argent récolté par l’État soit utilisé spécifiquement au bénéfice des aires protégées. 

Ainsi, les recours qui existent actuellement en droit québécois pour faire respecter la nature se fondent sur des intérêts humains. Pour que les droits de la nature soient respectés de manière autonome, elle doit pouvoir les exercer en se fondant sur ses propres intérêts, notamment en intentant une poursuite légale pour réclamer la réparation du préjudice qu’elle a subi. Elle doit donc passer du statut d’objet à sujet de droit. 

Fait important: en février 2021 et suite au travail du Conseil des Innu de Ekaunitshit, la MRC de Minganie, la SNAP Québec et l’Association Eaux-Vives Minganie, le Conseil des Innu d’Ekuanitshit et la MRC de Minganie ont adopté des résolutions miroirs accordant la personnalité juridique à la rivière Magpie, située dans la région de la Côte-Nord du Québec. Ces résolutions prévoient aussi la nomination de gardiens pour faire respecter ces droits. Aucune loi provinciale ne reconnaît toutefois ce statut. 

En mai 2022, des projets de loi ont été déposés par des partis d’opposition à l’Assemblée nationale du Québec et à la Chambre des communes (fédérale) pour accorder, cette fois-ci, la personnalité juridique au Fleuve St-Laurent. Ces projets de loi n’ont toutefois pas progressé par la suite. 

En avril 2023, l’Assemblée des Premières Nations de Québec-Labrador a de plus adopté une résolution accordant la personnalité juridique au fleuve au 12e Dialogue interactif Harmonie avec la Nature devant les pays membres de l’ONU

Ces gestes de communautés autochtones ou de groupes citoyens témoignent d’une forte volonté de protéger la nature en agissant notamment comme gardiens de ces cours d’eau.

Attribution par voie judiciaire

Les tribunaux d’autres États ont déjà attribué la personnalité juridique à la nature. En effet, la Haute Cour de Uttarakhand (The High Court of Uttarakhand”) en Inde a attribué, en mars 2017, la personnalité juridique au Gange et à la rivière Yamuna, après avoir reconnu leur grande importance spirituelle pour les Hindous. Cette décision a toutefois été renversée quatre mois plus tard par la Cour suprême indienne, jugeant qu’un tribunal local ne pouvait décider du sort d’un fleuve traversant le pays en entier et que beaucoup de questions demeuraient quant à savoir comment faire respecter les droits de ces rivières en pratique.

L’année précédente, un tribunal colombien avait toutefois réussi avec succès à déclarer un fleuve comme sujet de droit. En effet, la Cour constitutionnelle de la Colombie a reconnu la personnalité juridique au fleuve Atrato et lui a octroyé des droits, dans une tentative de répondre aux droits fondamentaux à la vie, à la santé, à un environnement sain, à la nourriture, à l’eau et au territoire des communautés afrodescendantes plaignantes. Alors que les lois constitutionnelles de l’Équateur et de la Bolivie contiennent des dispositions qui garantissent des droits à la nature, ce n’est pas le cas en Colombie (ni au Canada). La Cour Constitutionnelle de Colombie a néanmoins interprété sa loi constitutionnelle de façon à accorder la personnalité juridique au fleuve Atrato et ce, même si la loi ne contenait pas de disposition explicite à cet égard. Quatorze fleuves, un lac, une forêt, un ours et six zones naturelles ont été par la suite déclarés sujets de droit par différentes juridictions colombiennes.

Attribution par reconnaissance législative

En l’absence de décision judiciaire octroyant des droits à la nature au Canada, il serait possible pour les provinces d’attribuer la personnalité à la nature par voie législative, c’est-à-dire en adoptant une loi. Cette loi devrait alors non seulement décrire ces droits, mais aussi prévoir des moyens de faire appliquer et respecter de tels droits à l’aide de ressources financières et juridiques. Le régime de protection des droits ainsi mis en place pourrait  également prévoir une collaboration avec les peuples autochtones, comme l’a fait la  Nouvelle-Zélande, par exemple, en adoptant des lois protégeant des entités naturelles ayant une importance spirituelle pour les Maoris, soit la rivière Whanganui et l’ancien parc national Te Urewera.

En droit canadien, cette reconnaissance législative aurait des effets sur les autres lois ordinaires, mais pas sur la Constitution, laquelle ne peut être modifiée que conformément à la procédure de modification prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.

Conclusion

Il est indéniable que nous avons besoin d’un changement de paradigme dans les rapports entre l’humain et la nature. C’est d’autant plus clair maintenant que l’on voit un rythme alarmant d’extinction des espèces.

Des initiatives qui visent à accorder une personnalité juridique à des éléments de la nature cherchent ultimement à renforcer la protection juridique de la nature. L’octroi de la personnalité juridique à des éléments de la nature soulève des questions et des défis juridiques. Il est notamment important de réaliser que cette reconnaissance, au Canada, n’aurait pas nécessairement un statut constitutionnel (donc supra-législatif) et qu’elle pourrait donc être modifiée par une loi subséquente. 

Pour mieux protéger la nature, il est essentiel de modifier les lois de manière à :

– reconnaître la valeur intrinsèque de la nature, c’est à dire de reconnaître que la nature est précieuse et importante en soi, indépendamment de ce qu’elle peut rapporter aux humains;

– renforcer l’imputabilité de l’État en lui imposant des obligations juridiquement contraignantes, dans le meilleur intérêt des générations actuelles et futures;

– élargir les droits de toute personne d’agir devant les tribunaux pour la protection de la nature;

– combler les lacunes existantes dans le cadre juridique environnemental;

– revoir la notion de la «propriété» des éléments naturels et des devoirs qui devraient accompagner notre contrôle de ces éléments de la nature.

L’idée d’une personnalité juridique d’éléments de la nature pourrait contribuer à faire évoluer les rapports entre les humains et la nature à long terme et faire en sorte que plus de personnes se mobilisent en faveur d’une meilleure protection de la nature. Ces initiatives pourraient aussi inciter les législateurs à renforcer les cadres juridiques environnementaux, ce qui est souhaitable et nécessaire.


Attention:  Cet article présente le droit en vigueur au Québec et est fourni à titre informatif uniquement. Il ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprété comme tel. Pour obtenir des conseils juridiques, vous pouvez consulter un·e avocat·e ou un·e notaire. Pour obtenir de l’information juridique, vous pouvez contacter les juristes du CQDE.  

Appuyé financièrement par le Fonds d’études notariales de la Chambre des notaires du Québec. Cependant, seul le CQDE est responsable du contenu de cet article.