Institutions financières et climat : Or, la loi ? (Lettre ouverte)

Texte d’opinion publié dans La Presse le 29 mai 2025. 

Les organismes de défense de l’environnement dénoncent les agissements d’institutions financières qui utilisent les nouvelles règles sur l’écoblanchiment comme prétexte afin d’éviter de dévoiler leur impact environnemental négatif.

« Du fait des changements apportés récemment à la Loi sur la concurrence du Canada, nous ne pouvons pas divulguer le ratio d’approvisionnement énergétique (RAE) », a écrit la Banque Royale du Canada (RBC), la plus grande banque canadienne, dans son plus récent rapport sur la durabilité⁠1.

Le RAE est un indicateur clé, développé initialement par BloombergNEF, permettant de comparer le financement accordé aux énergies à fortes émissions de carbone par rapport à celles à faibles émissions. L’indicateur permet plus globalement de suivre les progrès du secteur financier dans la lutte contre les changements climatiques.

La divulgation de son RAE faisait pourtant l’objet d’une entente avec le fonds de pension de la Ville de New York, qui avait retiré l’an dernier une résolution actionnariale en échange de cet engagement. Au printemps, la BMO, la CIBC et la TD ont également dissuadé leurs actionnaires respectifs de voter en faveur de résolutions visant la divulgation des RAE. Cela n’a pas empêché ces résolutions de recevoir le plus grand soutien historique d’actionnaires des banques canadiennes de toutes les propositions liées au climat.

Ces reculs mettent en péril la stabilité financière et la compétitivité économique du Canada.

Selon BloombergNEF, les grandes banques canadiennes ont de quoi être gênées : elles sont presque toutes à la traîne des grandes banques mondiales en la matière, avec la BMO bonne dernière⁠2.

Des amendements à la Loi sur la concurrence qui ont le dos large

La Loi sur la concurrence exige désormais des entreprises qu’elles s’appuient sur certaines preuves avant d’émettre des déclarations qui présentent des avantages pour « l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques ».

Les entreprises doivent donc corroborer leurs allégations par une « méthode reconnue à l’échelle internationale » afin d’endiguer le fléau de l’écoblanchiment.

S’ancrer dans des méthodes avec des indicateurs crédibles, vérifiables, comparables et reconnus est fondamental dans le contexte où « les efforts canadiens en matière de divulgation d’informations sur le climat ont été disparates, tardifs et en deçà des normes internationales », selon Mark Carney, alors qu’il témoignait l’an dernier au Sénat sur le projet de loi sur la finance alignée sur le climat⁠3.

Or, la loi visant l’écoblanchiment est-elle véritablement en cause ?

Les opérations de la RBC, comme celles d’autres banques canadiennes, semblent aggraver la crise climatique plutôt que d’accélérer la transition. BloombergNEF estime que la RBC a un RAE de 0,47:1 ; cela signifie qu’elle finance deux fois plus les énergies fossiles que les énergies bas carbone. C’est loin de la cible d’un financement de 4:1 en faveur des renouvelables, prescrite par BloombergNEF pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. À l’inverse, Desjardins, qui investit presque 11 fois plus dans les énergies renouvelables que dans les énergies fossiles, divulguait la semaine dernière son RAE⁠4.

L’écoblanchiment était déjà interdit avant l’introduction de nouvelles règles ; la RBC faisait déjà l’objet d’une plainte au Bureau de la concurrence à cet égard⁠5. À notre avis, le véritable problème ne repose donc pas sur ces nouvelles règles, mais plutôt sur l’absence de règles visant à s’assurer que la finance serve réellement l’intérêt collectif et qu’elle ne contribue pas à causer des torts irréparables aux populations et aux écosystèmes dont nous dépendons.

L’élection d’un nouveau gouvernement, avec à sa tête un financier qui comprend l’importance stratégique d’une finance qui n’ajoute pas d’huile sur le feu, est une occasion d’adopter les mesures législatives qui s’imposent, en commençant par la réintroduction du projet de loi sur la finance alignée sur le climat.

Signataires :

Karine Péloffy, Cheffe de projet finance durable à Écojustice

Geneviève Paul, Directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement

 

 

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