La navigation et le partage des compétences

Qui peut régir la navigation de plaisance des lacs et des rivières au Québec ? 

La navigation sur les lacs et cours d’eau, surtout lorsqu’elle est motorisée, peut avoir des impacts sur les écosystèmes et sur la qualité de vie des populations. Elle peut contribuer à la pollution de l’eau, perturber la biodiversité et fragiliser les milieux naturels sensibles, en plus de générer des nuisances ou des conflits d’usages. Qui a donc le pouvoir de réglementer la navigation, par exemple en limitant la vitesse et le type de bateaux permis sur un plan d’eau ou encore en leur imposant des conditions d’utilisation ? 

Au Québec, le lit du plan d’eau (le terrain sur lequel se trouve l’eau) peut être privé mais l’eau elle-même est un bien public, dont l’usage est en principe commun à tous. L’article 920 du Code civil du Québec prévoit, que toute personne peut circuler sur les cours d’eau et les lacs, que le lit d’un lac soit public ou privé, « à la condition de pouvoir y accéder légalement, de ne pas porter atteinte aux droits des propriétaires riverains, de ne pas prendre pied sur les berges et de respecter les conditions d’utilisation de l’eau». Notre article À qui appartiennent les cours d’eau au Québec ? expose le cadre juridique de l’accès à l’eau.

Restreindre un type d’activité sur un plan d’eau en raison de son impact sur l’environnement ou sur la santé humaine implique donc soit d’en restreindre l’accès par les berges ou soit d’encadrer la navigation elle-même. Alors que l’accès au berge peut être encadré par la province, par les municipalités et par les propriétaires riverains eux-mêmes, la navigation relève essentiellement de la juridiction fédérale.  

La juridiction fédérale sur la navigation

L’article 91 de la Constitution canadienne, qui énumère les domaines de juridiction fédérale, mentionne explicitement que le gouvernement fédéral est compétent pour légiférer «la navigation et les bâtiments ou navires». Il est donc clair qu’à moins d’exception, c’est au niveau fédéral que sont édictées les lois sur ce sujet. 

La Loi sur les eaux navigables canadiennes est l’une des principales lois fédérales encadrant la navigation. Elle fournit une définition des eaux navigables qui inclut les plans d’eau, d’origine tant naturelle qu’anthropique, susceptibles d’être utilisés pour la navigation. Cette loi a pour objectif de protéger les eaux navigables et le droit de navigation. Par exemple, elle limite les ouvrages et constructions pouvant s’implanter en eaux navigables et qui pourraient gêner la navigation. 

Ce sont toutefois la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et le Règlement sur les restrictions visant l’utilisation des bâtiments qui revêtent une importance particulière pour l’encadrement des impacts de la navigation sur les lacs et cours d’eau au Québec. Ces outils juridiques sont appliqués par le ministère des Transports du Canada.

D’abord, la loi sur la marine marchande régit la sécurité du transport maritime et de la navigation de plaisance, mais elle vise aussi à protéger le milieu marin contre les dommages causés par les activités de navigation et de transport maritimes. Elle contient notamment des dispositions au sujet de la pollution par les hydrocarbures ou d’autres substances nocives et potentiellement dangereuses. Elle contient aussi des dispositions spécifiques à la navigation de plaisance.

En vertu de cette loi, le gouvernement fédéral peut adopter des règlements qui restreignent la navigation, dont le Règlement sur les restrictions visant l’utilisation des bâtiments. Il faut noter que l’utilisation du terme «bâtiments » est expliquée dans la loi et diffère du sens commun du mot. En effet, la Loi définit «bâtiment » comme un « navire, bateau ou embarcation conçu, utilisé ou utilisable — exclusivement ou non — pour la navigation sur l’eau, au-dessous ou légèrement au-dessus de celle-ci, indépendamment de son mode de propulsion ou de l’absence de propulsion ou du fait qu’il est encore en construction ». Certains types d’embarcation sont exclus de l’application de la loi par règlement.

Le gouvernement fédéral peut donc, en vertu de cette loi, interdire la totalité ou certains types de bâtiments sur un plan d’eau donné, restreindre la puissance motrice ou les types de propulsion autorisés ou encore limiter la vitesse de circulation. Ces restrictions peuvent s’appliquer en tout temps, ou seulement pour une période de temps précise. Elles peuvent viser un plan d’eau entier ou seulement une partie. Pour savoir si un plan d’eau en particulier est visé par une ou plusieurs restrictions, il faut consulter les annexes 1 à 8 du Règlement sur les restrictions visant l’utilisation des bâtiments. 

Chaque annexe énumère, par province, les plans d’eau où sont applicables les différentes restrictions (ceux où sont interdits tous les bâtiments, ceux où une puissance motrice maximale est établie, etc.). Par exemple, on peut y lire qu’à 100 mètres ou moins de toutes les rives du lac Massawippi, en Estrie, les bateaux doivent respecter une vitesse maximale de 10 km/h.


Le rôle des administrations locales

Puisque le Parlement n’est pas nécessairement au courant des enjeux reliés à la navigation de l’ensemble du territoire canadien, les administrations locales jouent un rôle important pour faire en sorte qu’une ou des restrictions s’appliquent sur un plan d’eau navigable de leur territoire. Les municipalités, un ministère provincial ou une MRC, par exemple, peuvent initier des démarches pour que de nouvelles restrictions soient ajoutées au règlement.

Pour qu’une administration locale puisse imposer des restrictions concernant la navigation sur son territoire, elle doit déposer une demande officielle à Transport Canada. Avant de déposer sa demande officielle, l’administration locale doit d’abord identifier les sources et les causes du problème qu’elle souhaite résoudre. À titre d’exemple, il peut s’agir d’un problème relatif à la sécurité sur les eaux navigables, d’un enjeu environnemental, tel que l’érosion du littoral ou d’autres enjeux d’intérêt public comme la nuisance sonore. Des consultations publiques doivent également être tenues par l’administration locale. 

Pour qu’une restriction soit ajoutée au règlement, l’administration locale doit franchir plusieurs étapes qui sont décrites dans le Guide des administrations locales préparé par Transports Canada. Ces étapes comprennent une évaluation préliminaire par un Bureau régional de la sécurité nautique avant le dépôt d’une demande officielle à Transports Canada, qui examine ensuite la demande en fonction de certains critères. Le ministère fait une recommandation au gouvernement quant à l’adoption d’une modification au Règlement sur les restrictions visant l’utilisation des bâtiments s’il le juge opportun. Si une modification réglementaire est adoptée, elle est publiée dans Gazette du Canada et devient alors effective.

Cette procédure, bien que compliquée, a permis l’ajout de restrictions à la navigation dans de plusieurs municipalités québécoises comme en font foi les annexes du règlement. Ainsi, les communautés locales et les groupes citoyens peuvent demander l’implication d’une administration locale pour s’adresser aux autorités fédérales dans le but de résoudre ou prévenir les problèmes liés à la navigation . Il faut toutefois s’armer de patience. 

Les compétences des municipalités pour encadrer la navigation indépendamment du gouvernement fédéral 

En ce qui concerne les instances municipales, celles-ci disposent nécessairement de pouvoirs limités par la large compétence fédérale expliquée ci-dessus. En effet, les municipalités ne peuvent pas d’elles-mêmes interdire ou restreindre la navigation sur les plans d’eaux qui se trouvent sur leur territoire, même lorsque ce sont des plans d’eau non navigables. Elles doivent plutôt suivre le processus prévu par Transport Canada mentionné ci-haut.

Bien que les municipalités aient de larges compétences en matière d’environnement, elles sont limitées dans l’encadrement qu’elles peuvent faire des activités nautiques. Les tribunaux se sont prononcés à plusieurs reprises sur ce point. Dans l’affaire St-Denis de Brompton, où une municipalité avait adopté un règlement prohibant l’usage de bateaux à moteur sur un plan d’eau navigable, la Cour d’appel du Québec a déclaré que ce règlement dépassait les pouvoirs de la municipalité et était donc inopérant. La Cour a d’ailleurs écrit qu’une « province [et donc une municipalité] n’a pas le pouvoir de décider s’il y aura ou non de la navigation sur les eaux navigables, car le pouvoir d’abolir ou de restreindre le droit de navigation appartient à la compétence exclusive du Parlement ». Plusieurs décisions ultérieurs ont mené à la même conclusion, dont Marcoux c. St-Charles-de-Bellechasse et Chalets St-Adolphe inc. c. St-Adolphe d’Howard

Ceci étant dit, les municipalités peuvent réglementer certains aspects qui ont un lien avec la navigation. Sans pour autant pouvoir régir ou restreindre la navigation, elles peuvent notamment réglementer les débarcadères et la mise à l’eau et l’obligation de nettoyer la coque de leur bateau avant la mise à l’eau (ce qui contribue à freiner la propagation des espèces exotiques envahissantes).


Attention:  Cet article présente le droit en vigueur au Québec et est fourni à titre informatif uniquement. Il ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprété comme tel. Pour obtenir des conseils juridiques, vous pouvez consulter un·e avocat·e ou un·e notaire. Pour obtenir de l’information juridique, vous pouvez contacter les juristes du CQDE.

Appuyé financièrement par le Fonds d’études notariales de la Chambre des notaires du Québec. Cependant, seul le CQDE est responsable du contenu de cet article.

Merci à Elizabeth Viau pour sa contribution à cet article. 

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