En droit civil québécois, il existe une action judiciaire qui permet de faire cesser et d’être indemnisé pour des inconvénients subis à cause d’un voisin. Ces inconvénients que l’on appelle communément les «troubles de voisinage» peuvent prendre plusieurs formes : bruits, odeurs, poussières, vibrations, etc. 

Pour qu’un inconvénient soit considéré comme un trouble de voisinage au sens de la loi et pour pouvoir entreprendre une action judiciaire pour que cesse cet inconvénient, certaines conditions doivent être remplies.

Mais avant de présenter ces conditions, il est essentiel de traiter d’une décision phare en matière de trouble de voisinage: la décision Ciment du Saint-Laurent.

Le principe de l’article 976 du Code civil du Québec: le cas de l’arrêt Ciment du Saint-Laurent

Définition des troubles du voisinage

L’article 976 du Code civil du Québec (CcQ) codifie les troubles de voisinage en énonçant ce qui doit être toléré. Cet article prévoit que:

« Les voisins se doivent de tolérer les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

Le trouble de voisinage implique « le dépassement d’un seuil, qui permet de distinguer les inconvénients habituels de la vie en société, de l’inconvénient anormal ou excessif ». Les voisins se doivent ainsi de tolérer les inconvénients normaux, mais peuvent être indemnisés pour les inconvénients considérés comme anormaux, qu’ils n’ont pas à subir. 

Que dit l’arrêt Ciment du Saint-Laurent?

En 2008, le CQDE est intervenu devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, laquelle a mené à un arrêt ayant eu des répercussions importantes sur l’encadrement juridique des troubles de voisinage au Québec. 

Il s’agissait d’une action collective, alors appelée recours collectif, entreprise par les résident·es de la municipalité de Beauport à l’encontre d’une entreprise qui a exploité une cimenterie de 1955 à 1997. Les citoyens prétendaient que les poussières, les odeurs et le bruit provenant de la cimenterie leur avaient causé un préjudice. La Cour a décidé que même si la cimenterie n’avait pas commis de faute et qu’elle s’était conformée à la loi et aux règlements, sa responsabilité pouvait être retenue sur la base de l’article 976 du CcQ, lequel reconnaît une responsabilité sans faute en matière de propriété. La Cour a conclu que les poussières rejetées en raison de l’exploitation de la cimenterie constituaient des inconvénients anormaux dans les circonstances.

Les conclusions de l’article 976 du Code civil du Québec: un régime de responsabilité sans faute

La Cour suprême en arrive ainsi à la conclusion que l’article 976 du CcQ établit un régime de responsabilité sans faute en matière de troubles de voisinage, fondé sur la mesure des inconvénients subis. Ainsi, l’article 976 CcQ se distingue des régimes généraux de la responsabilité civile prévus aux articles 1457 et 1458 CcQ puisqu’il repose sur l’analyse objective de la gravité des conséquences ou des dommages et non sur l’existence d’un comportement fautif. 

La Cour explique que la responsabilité sans faute s’accorde avec l’objectif de protection de l’environnement et l’application du principe du pollueur-payeur, en imposant aux pollueurs la responsabilité de faire cesser la contamination dont ils sont responsables et d’assumer les coûts de la pollution.

Qu’est-ce qu’un voisin?

La notion de voisin ne se limite pas aux voisins directement attenants. Les tribunaux ont admis une interprétation large de ce concept, tout en reconnaissant qu’il devait y avoir une proximité suffisante. 

À titre d’exemple, une personne résidant à environ 1300 mètres d’un site d’enfouissement a été considérée voisine de ce site 

Un voisin peut être:

  • une personne physique, c’est-à-dire un particulier 
  • une entreprise
  • une municipalité

Qu’est-ce qu’un inconvénient anormal?

L’appréciation du préjudice est une question de fait soumise à l’appréciation du tribunal sur la base de plusieurs critères qui visent à déterminer le seuil de normalité. Ces critères reposent sur deux grandes idées: la gravité et la récurrence du trouble. Le tribunal détient un large pouvoir d’appréciation dans l’évaluation du caractère anormal des inconvénients, mais il tiendra compte du milieu et des usages. Ainsi, ce qui peut être considéré comme normal en ville pourrait ne pas l’être en zone rurale, et inversement.

Le critère de raisonnabilité

Le critère de raisonnabilité constitue le fil conducteur de l’analyse des tribunaux pour décider si les inconvénients subis excèdent les limites de la tolérance. Le tribunal doit apprécier les inconvénients subis par la victime en fonction de ce qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances que cette dernière, considérerait comme normal ou anormal. Il ne faut pas confondre ce critère avec celui analysé dans un recours en responsabilité extracontractuelle, pour lequel on doit se demander si la personne poursuivie a agi comme une personne raisonnable afin de déterminer si elle a commis ou non une faute.

Le critère de récurrence

Pour qu’il y ait un inconvénient anormal il faut que le trouble ait un caractère récurrent, de continuité, de répétition, bien que le trouble puisse être sporadique ou permanent. Pour être qualifié d’anormal, l’inconvénient doit revêtir un caractère continu ou répétitif. En revanche, lorsque l’inconvénient est constitué de faits isolés ou occasionnels, les chances de succès d’un recours se trouvent particulièrement réduites.

Les tribunaux ont conclu que le bruit des camions incommodant un voisin quelques fois par mois ne constitue pas un trouble excessif de voisinage. De même, les inconvénients à l’occasion d’un événement spécial ne constituent pas des inconvénients anormaux.

Le critère de gravité

Pour être anormal, le trouble doit être grave au point d’être intolérable, c’est-à-dire qu’il ne doit pas pouvoir être supporté. Le demandeur doit subir un préjudice réel et sérieux, et non pas seulement la privation d’un avantage, pour que le trouble puisse être qualifié d’intolérable. 

Qui est considéré comme une victime?

Dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent, la Cour suprême précise que la notion de victime s’étend non seulement aux propriétaires, mais également aux locataires ou à toute personne exerçant un droit de jouissance ou d’usage sur la propriété. Les enfants d’un propriétaire ou d’un locataire sont également considérés comme des victimes. 

Des actions judiciaires possibles

Lorsqu’aucune autre solution ne fonctionne afin de résoudre le trouble de voisinage, différents recours s’offrent aux victimes. Chacun de ces recours comporte des avantages et des inconvénients qui leur sont propres. C’est pourquoi il peut être important de consulter un·e avocat·e afin d’obtenir des conseils juridiques personnalisés. 

Le recours en injonction

Un demandeur peut intenter une action en justice pour obtenir la cessation du trouble grâce à une injonction permanente ou demander que la Cour ordonne au défendeur de prendre diverses mesures pour diminuer l’intensité des inconvénients. Les tribunaux détiennent le pouvoir d’imposer à une personne de faire ou de ne pas faire quelque chose.

L’injonction est considérée comme un recours exceptionnel qui n’est pas accordé en toutes circonstances. Les tribunaux sont plus enclins à l’accorder lorsque le trouble revêt un caractère dangereux pour la santé ou pour l’intégrité des biens. Les tribunaux sont toutefois plus hésitants à accorder une injonction si celle-ci a pour conséquence d’entraîner la fermeture d’une entreprise ou la démolition d’une construction.

L’action collective

En matière de protection de l’environnement, il est certain que l’action collective peut s’avérer un recours intéressant. De plus en plus d’actions de ce type sont présentées devant les tribunaux, qui doivent cependant les autoriser, contrairement à d’autres types d’actions en justice.

Exemples de trouble de voisinage en matière d’environnement

Voici quelques exemples de situations concernant la poussière, le bruit ou les odeurs qui ont ouvert la porte à un recours en injonction et/ou en dommages et intérêts devant les tribunaux:

  • En 2008, la Cour supérieure du Québec a déterminé que l’utilisation d’un poêle à combustion lente et d’une cheminée dégageant une fumée blanche nauséabonde et affectant la santé des voisins constituait des troubles anormaux de voisinage.
  • En 2009, la Cour supérieure du Québec a conclu que l’achalandage et le bruit causé par l’exploitation d’un bistro et d’une marina sur le quai municipal adjacent à une résidence et l’installation par la municipalité d’un chapiteau sur l’avenue adjacente à la même résidence, constituaient des troubles anormaux du voisinage que les propriétaires de cette résidence n’avaient pas à subir.
  • En 2010, les tribunaux ont conclu qu’un éclairage de soir et de nuit excessif de commerces, provoquant sur une propriété une lumière intrusive, créait une pollution lumineuse anormale et représentait un trouble du voisinage en vertu de l’article 976 CcQ.

    Attention:  Cet article présente le droit en vigueur au Québec et est fourni à titre informatif uniquement. Il ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprété comme tel. Pour obtenir des conseils juridiques, vous pouvez consulter un·e avocat·e ou un·e notaire. Pour obtenir de l’information juridique, vous pouvez contacter les juristes du CQDE.  

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