Ce texte a été rédigé par Alexandre Lillo, Nessan Akemakou, Rachel Nadeau, délégués représentants le CQDE à la COP28, et Lynda Hubert Ta, et publié dans le média La Conversation, le 15 décembre 2023.

Lors de la COP28 qui vient de se terminer à Dubaï, la communauté internationale avait la lourde responsabilité de produire un bilan de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, huit ans après son adoption.

Ce bilan avait pour but d’évaluer les progrès collectifs, d’actualiser et de renforcer les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques.

La décision adoptée à Dubaï par la communauté internationale relève du compromis. C’est une COP qui a su éviter l’échec, sans pour autant annoncer des changements substantiels nécessaires pour éviter le pire.

Chercheurs et chercheures à l’UQAM, à l’Université d’Ottawa et à l’Université Laval, nous étions observateurs et observatrices pour le Centre québécois du droit de l’environnement et le Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale. Nous avons suivi la COP28 à distance et en personne. Voici les éléments clés que nous en retenons.

Une organisation logistique qui en a exclu plusieurs

La COP28 restera dans les mémoires des délégués non-VIP présents sur place comme un événement où les déplacements et l’orientation sur l’immense site d’Expo City Dubaï étaient difficiles. Cela a rendu la participation aux rencontres et aux événements ardue. Le nombre d’entre eux annulés ou retardés, sans préavis, était également notable.

Lorsqu’au bout de ce parcours du combattant, le ou la délégué lambda parvenait à se rendre à un événement ou une rencontre en cours, l’accès à la salle pouvait encore lui être refusé, faute de places assises disponibles, très limitées. Il ou elle pouvait aussi se heurter à la barrière de la langue, puisque les traductions dans les langues officielles des Nations unies, autres que l’anglais, n’étaient pas systématiques.

Les rares manifestants ont dû composer avec les restrictions à l’espace civique et les changements à l’agenda qui limitaient leur marge de manœuvre et leur impact.

Autant d’obstacles qui, en pratique, traduisaient un certain manque d’inclusion et d’équité.

L’avenir des énergies fossiles : verre à moitié vide ou à moitié plein ?

Les négociations sur le sort des énergies fossiles ont été âpres entre le Nord et le Sud. Fruit d’un compromis, le texte adopté mercredi invite le monde à « transitionner hors des énergies fossiles […], d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ».

L’accord final n’évoque donc plus la sortie des énergies fossiles (phase-out), mais une transition hors de celles-ci (transitioning away). Cette formule imprécise et vague laisse perplexe, même si le texte a le mérite de mentionner pour la première fois toutes les énergies fossiles.

Le texte appelle aussi à « tripler la capacité des énergies renouvelables au niveau mondial » et à « accélérer » le développement du nucléaire, en tant que source d’électricité qui génère peu de carbone. L’accord de Dubaï est donc inédit, mais il n’apparaît pas historique dans la mesure où l’urgence climatique suppose des décisions plus ambitieuses, courageuses et contraignantes.

Finances climatiques : un énième échec et une lueur d’espoir

Une nouvelle fois, la communauté internationale n’a pas été capable de mobiliser les 100 milliards de dollars par année nécessaires pour financer l’atténuation des changements climatiques. Il faut rappeler que cet objectif devait être atteint en 2020, à la suite d’un engagement pris à la COP15, en 2009.

Au premier jour de la COP28 (c’est suffisamment rare pour être noté), un accord sur l’opérationnalisation d’un fonds pour les pertes et les préjudices a néanmoins été adopté. Ce dernier a pour but de financer les dommages inévitables résultant des changements climatiques. Malgré tout, peu de pays développés se sont engagés à financer ce fonds. Environ 700 millions de dollars ont été promis, comparativement aux 400 milliards annuels qui seraient nécessaires.

La concrétisation du fonds « pertes et préjudices » outille certes la communauté internationale, mais cela ne garantit pas que les contributions financières seront à la hauteur des besoins. Et, nous l’avons vu avec l’historique de la finance climatique, les États ne se bousculent pas pour sortir le chéquier.

Une COP aux allures de foire commerciale

Entre les salles d’exposition pour les voitures électriques, les conférences sur les opportunités d’affaires générées par la transition énergétique et les occasions de réseautage, la COP28 avait des airs de sommet pour les gens d’affaires, plus nombreux que jamais à participer à une COP Climat.

Près de 2500 lobbyistes affiliés au secteur des énergies fossiles étaient accrédités pour l’événement, certains faisant partie des délégations officielles des États. Présentes aux négociations et ayant un accès privilégié aux négociations, l’influence de ces personnes sur le processus a été déplorée par les autres membres de la société civile.

Les entreprises et institutions financières présentes à la COP28 ont insisté sur la nécessité de davantage mobiliser le secteur privé et de miser sur les mécanismes de marché et leur potentiel, afin de faciliter la transition énergétique en créant des opportunités pour toutes et tous.

Toutefois, certains projets ne sont pas bankable, selon les institutions financières. Les projets fondés sur une valeur sociale ou environnementale ne sont pas forcément dotés d’une grande valeur monétaire. Peut-on alors les laisser décider de prioriser certains projets plus économiquement porteurs, lorsque le bien commun est en jeu ?

Un bilan canadien assombri par les tensions sur le plan national

Le ministre canadien de l’Environnement et du changement climatique, Steven Guilbeault, a qualifié l’accord conclu lors de la COP28 de consensus historique pour s’éloigner des énergies fossiles et garder en vie l’objectif de limiter à 1,5° le réchauffement de la planète.

Il a agi au cours des négociations comme l’un des ministres facilitateurs pour les moyens de mise en œuvre (par exemple, le soutien financier), plaçant le Canada dans un rôle d’avant-plan lors de cette COP. Il a en outre annoncé la publication d’un cadre réglementaire national pour plafonner les émissions de GES du secteur pétrolier et gazier.

Cependant, ce rôle de premier plan et cette annonce notable n’auront pas été suffisants pour effacer les tensions fortes sur le plan national. L’Alberta, d’ailleurs récipiendaire d’un des prix « Fossile du jour » remis par le Réseau Action Climat, n’a pas tardé à critiquer l’annonce d’un plafonnement des émissions de GES, la qualifiant d’attaque envers l’économie albertaine. La Saskatchewan, présentant elle aussi plusieurs divergences sur les politiques environnementales, a de son côté loué son propre pavillon sur le site de la COP28 plutôt que de partager l’espace du gouvernement fédéral.

Le Québec s’est relativement fait discret, mais il a toutefois profité de l’événement pour annoncer son nouveau rôle de coprésident de l’Alliance « Au-delà du pétrole et du gaz », avec le Costa Rica et le Danemark. L’accomplissement des engagements climatiques canadiens ne sera pas facilité par ces fortes divergences entre les provinces, et sur les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.

Cap sur Bakou

Le bilan de cette COP varie selon si l’on voit le verre à moitié plein, ou à moitié vide… Au moins, il y a un verre et un contenu. Il y a eu des avancées notables, même si l’ambition sur les énergies fossiles a été limitée alors que le temps presse.

Dubaï semble avoir manqué l’occasion de constituer une véritable rupture dans la manière de lutter contre les changements climatiques. Les regards se tournent désormais vers Bakou, en Azerbaïdjan, où se déroulera la COP29. Le profil de ce pays pétrolier et autoritaire devrait faire couler beaucoup d’encre.

 

Auteurs, chercheur⋅es universitaires participant à la COP en tant qu’observateur⋅trices pour le CQDE

Nessan Akemakou Njinga, postdoctorant à l’Université d’Ottawa

Nessan Akemakou Njinga est chercheur postdoctoral au sein du Forum sur le droit et la
gouvernance de l’eau de l’Université d’Ottawa. Ses travaux actuels portent sur
l’économie bleue et les politiques publiques de gestion des ressources hydriques au sein
de l’Union africaine (UA) et du Canada.

Rachel Nadeau, doctorante à l’Université Laval

Rachel Nadeau est candidate au doctorat en droit à l’Université Laval. Dans le cadre de ses
recherches, elle s’intéresse à la relation entre le droit de l’aménagement et la justice
environnementale.

Alexandre Lillo, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM

Alexandre Lillo est professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Son expertise porte sur le droit public et le droit de l’environnement, avec un accent particulier sur les questions liées à l’eau et aux changements climatiques. Ses travaux de recherche s’intéressent également à la pédagogie universitaire et à l’usage du jeu comme stratégie d’apprentissage et de développement social.