La 28e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, communément appelée la COP 28, débute aujourd’hui à Dubaï et sera certainement l’une des plus importantes depuis l’Accord de Paris (COP 21).

En tant qu’observatrice·eurs pour le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et en tant que chercheur⋅es à l’UQAM, à l’Université d’Ottawa et à l’Université Laval, voici les enjeux qui nous préoccuperont pendant les deux prochaines semaines.

Pourquoi tous les yeux sont rivés sur la COP 28?

Cela s’explique tout d’abord par le contexte environnemental actuel, plus alarmant que jamais. L’Organisation des Nations unies (ONU) affirmait récemment que les concentrations de gaz à effet de serre (GES) ont atteint un record en 2022. Un autre rapport de l’ONU confirmait il y a quelques jours seulement que les émissions ne devraient diminuer que de 2 % d’ici 2030 étant donné les efforts actuels des États, alors même que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique qu’une réduction de 43 % des émissions est nécessaire pour atteindre les objectifs internationaux. Le GIEC évoquait d’ailleurs dans son dernier rapport que le réchauffement global atteindrait la barre symbolique des 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels « dans un futur proche » si une réduction « rapide, profonde et immédiate » des émissions de GES n’était pas entreprise.

Ensuite, l’heure est inévitablement au bilan. La COP 28 marque en effet le moment fatidique où la communauté internationale déterminera si ses efforts collectifs permettent de concrétiser les engagements pris à Paris, il y a huit ans, et fera à nouveau ressortir la question épineuse des relations entre le Nord et le Sud. 

C’est donc dans ce contexte particulier d’urgence climatique et diplomatique que s’inscrit la COP 28. 

Un État pétrolier accueille et préside la COP 28

Le pays hôte de la COP est choisi à tour de rôle parmi les cinq groupes régionaux des Nations unies, notamment en fonction de ses capacités financières et logistiques à accueillir un événement d’une telle ampleur. Le pays hôte est également celui qui assume la présidence de la Conférence des parties. Ce rôle est important en ce qu’il influence le cadre, la dynamique et l’ambition des négociations.

La communauté internationale se réunit cette année à Dubaï pour négocier les prochaines étapes de la lutte contre les changements climatiques. Bien que cela donne de la visibilité aux pays du Moyen-Orient, le choix d’accueillir des négociations climatiques de la plus haute importance aux Émirats arabes unis peut surprendre. D’une part, ce pays est parmi les principaux pays producteurs de pétrole (2 718 000 barils par jour en 2021 selon l’OPEP). D’autre part, c’est un État qui vient tout juste de s’engager à une réduction de 40% des émissions de GES en 2030 (un engagement mis à jour en juillet 2023), alors même que son engagement antérieur (entre 2020 et 2023) était  de 31 % et qu’avant cela, aucun engagement de réduction des émissions de GES.

Lors de la COP 28, il faudra ainsi garder un œil sur plusieurs aspects de l’événement, dont la présence et le rôle des lobbies des énergies fossiles. Alors qu’ils étaient présents en nombre à la COP 27, il sera intéressant de voir la place qu’ils occuperont à la COP 28. Par ailleurs, la question de la liberté d’expression et de réunion devra être scrutée. Si les rassemblements et autres protestations sont monnaie courante lors des COP sur le climat, il sera intéressant de voir si et comment se dérouleront  les manifestations en lien avec le climat lors de la COP 28

Bien que le choix des Émirats arabes unis pour accueillir la COP 28 suscite des questionnements, fort est de constater que les opportunités se multiplient pour l’inclusion de la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord dans la lutte contre le changement climatique. 

L’heure du bilan et de la transition énergétique a sonné

L’un des enjeux clés de la COP 28 est celui du premier bilan mondial (global stocktake), dont l’échéance est prévue par l’Accord de Paris en 2023. Son but est de recenser “tout ce qui a trait à la situation mondiale en matière d’action et de soutien climatiques” afin d’ajuster le cap de l’action climatique internationale. Comme l’évoque l’article 14 (3) de l’Accord de Paris, le bilan mondial est censé éclairer “les Parties dans l’actualisation et le renforcement de leurs mesures et de leur appui selon des modalités déterminées au niveau national […] ainsi que dans l’intensification de la coopération internationale pour l’action climatique”. 

Autant dire qu’au regard des plus récents rapports de l’ONU et de la science compilée par le GIEC, la communauté internationale sera confrontée à sa défaillance. Il devient impératif  que les États renforcent leurs engagements et intensifient la coopération. Ce réajustement est inévitable, car la crédibilité de l’Accord de Paris est en jeu. Si le texte signé en 2015 a réussi à devenir un accord quasi universel, là où le Protocole de Kyoto s’était pris les pieds dans le tapis des négociations internationales, cela ne garantit pas pour autant son efficacité et sa capacité à atteindre les objectifs fixés.

Les pommes de discorde entre le Nord et le Sud

La COP 28 devrait de nouveau être le théâtre de l’opposition entre les pays du Sud global et ceux du Nord. L’une des principales pommes de discorde concerne les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). Celles-ci sont à l’origine de près de 80 % du total des émissions à l’échelle mondiale. En dépit de ce constat, seule la diminution progressive du charbon a fait l’objet d’un engagement lors de la COP 26 en Écosse. En raison du caractère alarmant de la situation, la question du gaz et du pétrole ne peut plus être éludée. Les discussions s’annoncent d’ores et déjà âpres. Selon un rapport de synthèse publié par la CCNUCC à l’orée du mois d’octobre, plusieurs Parties (essentiellement au Nord) sont en faveur d’une sortie graduée des énergies fossiles en plaidant pour la réduction des subventions et investissements voire la fin des nouveaux projets dans ce domaine. Les mêmes appellent de leurs vœux le triplement des capacités d’énergies renouvelables dans le monde d’ici 2030.

Plusieurs pays du Sud en voie de développement fustigent ces positions en avançant qu’elles participent à entraver leur essor économique. Ils dénoncent l’hypocrisie des pays industrialisés qui se sont développés grâce aux énergies fossiles en polluant, et qui leur refusent le recours aux énergies fossiles jugées désormais néfastes pour la planète. Ils refuseront  des mesures contraignantes sans compensation et sans garanties de financement. Ils entendent également parvenir à des concessions sur l’emploi du gaz comme énergie de compromis entre le charbon, plus polluant, et les énergies renouvelables.

L’autre pierre d’achoppement entre les pays du Nord et ceux du Sud concerne la mise en œuvre  du fonds « pertes et dommages ». Lors de la COP 27 en Égypte, un accord a été conclu au forceps et les Parties ont acté le principe de ce fonds alimenté par les pays historiquement les plus responsables de la crise climatique. Il est destiné à financer les pertes et préjudices subis par les pays du Sud qui sont les plus vulnérables et les plus impactés par les changements climatiques. À ce jour, les États n’ont cependant pas réussi à s’entendre sur les modalités du fonds. Quels bénéficiaires ? Quels contributeurs ? Quel gestionnaire ? Quels types de financement ? Des subventions, des dons ou des prêts ? Quel montant ? Le chiffre de 100 milliards de $ US a été avancé, mais certains  estiment que les réels besoins se chiffrent autour de 1700 milliards $ à l’horizon 2050. Par ailleurs, un certain scepticisme règne lorsqu’on sait que les 100 milliards $ par an promis à l’horizon 2020 pour doter le Fonds vert pour le climat et soutenir les actions d’atténuation et d’adaptation n’ont jamais été atteints.

Quelle implication pour le Canada et le Québec à la COP 28 ?

Le Canada se retrouve dans une position de premier plan, avec la nomination du ministre fédéral de l’Environnement comme co-facilitateur pour appuyer le président désigné de la COP 28. Il aura pour rôle, en collaboration avec la ministre de l’Environnement de l’Égypte, de faciliter les discussions politiques avant et pendant la COP, dans le contexte particulier du premier bilan mondial. De façon plus générale, le Canada a manifesté son ambition de démontrer le leadership et l’innovation du Canada en matière de climat, ainsi que sa volonté de s’attaquer aux trois crises que représentent les changements climatiques, l’appauvrissement de la biodiversité et la pollution. Critiqué lors de la COP 27 pour la présence d’entreprises pétrolières, gazières et de pétrochimie à son pavillon officiel, il reste à voir comment le Canada agira face à l’objectif d’éliminer progressivement, et d’ici 2050, les combustibles fossiles à l’échelle mondiale, tel que réitéré ces derniers jours dans le cadre du Sommet Canada-Union européenne 2023. Il faudra également garder un œil sur la composition de la délégation canadienne qui, selon les premiers dires, devrait compter pas loin de 700 personnes, un record. 

La participation du Canada à la COP 28 s’inscrit dans un contexte national difficile, alors que le gouvernement fédéral a récemment suspendu, jusqu’en 2027, l’application de la redevance sur les combustibles aux livraisons de mazout. Présentée comme une mesure permettant d’aider les Canadiens dans un contexte économique difficile, elle vient cependant créer un précédent inquiétant dans l’application de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Il s’agit pourtant du régime représentant, selon le Plan de réduction des émissions du Canada pour 2030, la pierre angulaire de l’approche du Canada en matière d’action climatique. 

De plus, le Canada risque de ne pas rencontrer sa cible pour 2030 selon un rapport récent du commissaire à l’environnement et au développement durable. Celui-ci rappelle aussi qu’il n’a pas réussi à atteindre ses objectifs précédents de réduction des émissions; l’objectif de réduire les émissions de 40% à 45% sous les niveaux de 2005 d’ici 2030 représente autant la contribution déterminée au niveau national du Canada en vertu de l’Accord de Paris que sa première cible de réduction en vertu de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Pourtant, les mesures actuellement prévues ne permettent qu’une réduction de 34%, laissant un important manque à gagner. 

De son côté, le Québec peut bénéficier de la participation de son premier ministre, François Legault, au Sommet sur l’ambition climatique de l’ONU en septembre 2023, notamment pour avoir interdit l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures en 2022. Cependant, cette réputation enviable à l’international ne dissimulera pas le bilan climatique du Québec qui, comme le Canada, présente de grandes difficultés à atteindre ses cibles climatiques. Selon le récent plan de mise en œuvre 2023-2028 pour le Plan pour une économie verte 2030, les mesures en place en lien avec la cible de 37,5% sous les niveaux d’émission de 1990 d’ici 2030 ne permettraient d’atteindre que 60% de cette dernière. Le rôle et les prises de position du Québec lors de cette COP seront donc à surveiller.   

Conclusion 

Au-delà du bilan mondial, des ressources naturelles (dont les énergies fossiles et l’eau), de la dialectique Nord/Sud, des questions de financement, du positionnement du Canada et du Québec, nous serons également attentif⋅ves à la manière dont seront abordés le rôle des communautés locales, l’aménagement du territoire ou encore l’équité intra et intergénérationnelle. Nous vous ferons part de nos observations au fil de la conférence. 

Nessan Akemakou Njinga, postdoctorant à l’Université d’Ottawa

Nessan Akemakou Njinga est chercheur postdoctoral au sein du Forum sur le droit et la
gouvernance de l’eau de l’Université d’Ottawa. Ses travaux actuels portent sur
l’économie bleue et les politiques publiques de gestion des ressources hydriques au sein
de l’Union africaine (UA) et du Canada.

Rachel Nadeau, doctorante à l’Université Laval

Rachel Nadeau est candidate au doctorat en droit à l’Université Laval. Dans le cadre de ses
recherches, elle s’intéresse à la relation entre le droit de l’aménagement et la justice
environnementale.

Alexandre Lillo, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM

Alexandre Lillo est professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Son expertise porte sur le droit public et le droit de l’environnement, avec un accent particulier sur les questions liées à l’eau et aux changements climatiques. Ses travaux de recherche s’intéressent également à la pédagogie universitaire et à l’usage du jeu comme stratégie d’apprentissage et de développement social.