Objet : Transparence et diligence nécessaires pour l’accès aux documents du Registre des évaluations environnementales

Monsieur le Ministre,

Faisant suite à notre rencontre du 27 avril 2021 dernier portant sur le projet Énergie Saguenay (Projet), le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), Équiterre, Greenpeace Canada, Nature Québec, la Coalition Fjord et la Coalition Anti-pipeline Rouyn-Noranda vous demande de publier au Registre des évaluations environnementales (Registre) dans les meilleurs délais tous les documents présentement détenus par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) qui sont relatifs à l’analyse environnementale du Projet.

Ces documents, obtenus par le MELCC depuis la fin du mandat du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), comprennent notamment les avis des ministères et des organismes, les engagements et les compléments d’information de l’initiateur du Projet.

Lors de notre récente rencontre, vous avez sous-entendu que ces documents seraient publiés au Registre au même moment que serait prise la décision finale du gouvernement concernant le Projet.

Avec égards, cette approche nous apparaît contraire à la raison d’être du Registre. Il nous apparaît clair que le Registre vise à mettre en œuvre le principe de l’accès au savoir, enchâssé en ces termes au paragraphe f) de l’article 6 de la Loi sur le développement durable (RLRQ, c. D-8.1.1) :
« Afin de mieux intégrer la recherche d’un développement durable dans ses sphères d’intervention, l’Administration prend en compte dans le cadre de ses différentes actions l’ensemble des principes suivants : […] f) « accès au savoir»: les mesures favorisant l’éducation, l’accès à l’information et la recherche doivent être encouragées de manière à stimuler l’innovation ainsi qu’à améliorer la sensibilisation et la participation effective du public à la mise en œuvre du développement durable. » En environnement comme dans tout autre domaine d’intérêt public, la transparence, notamment via l’accès à l’information, est essentielle à la bonne conduite de toute société démocratique.

C’est d’ailleurs ce que souligne la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 à laquelle le Québec s’est déclaré lié et qui rappelle que « [l]a meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés ». Plus encore, ce même instrument du droit international insiste pour qu’ « [a]u niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision ».

À notre avis, afin de respecter les objectifs associés à la mise sur pied du Registre des évaluations environnementales, le MELCC doit adopter une approche plus transparente et qui se fonde sur le respect des droits liés à la participation du public.

Le respect du principe de la transparence devrait vous conduire à traiter la publication des documents au Registre en faisant preuve de la même diligence tout au long du processus d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. La même rapidité d’exécution devrait s’observer depuis le dépôt de l’avis de projet jusqu’à l’annonce de la décision du gouvernement à l’égard des projets évalués puis, le cas échéant, la publication des programmes et rapports de suivi environnemental. La société civile devrait pouvoir bénéficier de la même célérité de publication des documents complétés après l’étape de la participation publique que nous pouvons observer habituellement durant les étapes préalables, notamment lors de l’évaluation de la recevabilité de l’étude d’impact.

Lors de notre rencontre, vous avez laissé entendre que la participation du public se limite aux audiences publiques menées par le BAPE. Bien que ces audiences publiques constituent une occasion privilégiée et importante pour la participation du public, une participation pleine et entière du public aux décisions qui le concernent ne saurait s’arrêter à la seule étape des audiences du BAPE. Par ailleurs, la loi ne prévoit pas d’interdiction à quiconque de fournir au MELCC des informations pertinentes sur le projet après la fin du mandat du BAPE, et le MELCC doit alors en tenir compte. Cela est d’autant plus important lorsque des enjeux névralgiques au sort du projet sont analysés par le MELCC, alors que la société civile est susceptible de détenir des compléments d’information hautement pertinents sur ces sujets. Afin de fournir au gouvernement une analyse complète, le MELCC doit encourager sa propre récolte d’information pertinente, plutôt que de la limiter. Il serait illogique, avec égards, que le sort du projet soit déterminé en grande partie par un échange d’information entre le MELCC et l’initiateur du projet sans que le public ne puisse en être informé et y participer.

Considérant la raison d’être du Registre, nous sommes d’avis que le fait de ne pas divulguer les informations obtenues à la suite de la fin du mandat du BAPE est en réalité un choix que prend délibérément le MELCC dans l’administration de ses évaluations. Nous nous inscrivons en désaccord avec ce choix qui mine la confiance du public dans le processus pourtant conçu de manière à assurer sa participation active. Rien n’empêche le MELCC de choisir d’agir autrement. Au contraire, tout vous autorise et vous encourage à choisir d’agir dans la transparence.

Il n’existe à notre avis aucune raison valable justifiant de retarder indûment la publication des documents liés à l’étape de l’analyse environnementale qui sont actuellement en la possession de votre ministère. Ainsi et au regard de la participation sans précédent du public dans le processus de consultation publique portant sur le Projet Énergie Saguenay et de l’importance des enjeux environnementaux associés à celui-ci, nous réitérons la nécessité de rendre publics les documents disponibles dans les meilleurs délais.

Ainsi, nous vous demandons de rendre publics dans les meilleurs délais tous les documents actuellement détenus par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) relatifs à l’analyse environnementale du Projet Énergie Saguenay.

Nous vous demandons également de nous confirmer que toutes les informations transmises au MELCC après la fin du mandat du BAPE sont prises en compte dans l’évaluation environnementale des projets assujettis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.

Dans l’attente d’un retour de votre part et en espérant que vous répondrez favorablement à notre demande, nous vous remercions pour votre considération et vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre, nos salutations les plus distinguées.

CO-SIGNATAIRES

GENEVIÈVE PAUL, directrice générale du CQDE

MARC-ANDRÉ VIAU, directeur des relations gouvernementales, Équiterre 

PATRICK BONIN,  responsable de la campagne climat-énergie, Greenpeace Canada 

ALICE-ANNE SIMARD, directrice générale, Nature Québec

CAMILLE-AMÉLIE KOZIEJ LÉVESQUE, coordinatrice, Coalition Fjord

FRANÇOIS GAGNÉ, co-porte-parole, Coalition Anti-Pipeline Rouyn-Noranda