Par Me Jean Baril, professeur au Département de sciences juridiques de l’UQAM et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens ».

La publication du rapport du BAPE sur le projet de réseau électrique métropolitain de transport collectif (REM) a démontré, une fois de plus, la profonde méconnaissance, sinon l’aveuglement volontaire, de nos « élites » politiques et économiques face au rôle de cet organisme.

Le BAPE a remis son rapport au ministre David Heurtel le 22 décembre. Avant même qu’il ne soit rendu public par ce dernier, le vendredi 20 janvier à 16h00, plusieurs élus et personnalités économiques ont rejeté du revers de la main ses conclusions et ont même estimé que l’organisme avait excédé son mandat. Selon Les Affaires « Irrités par le document, le premier ministre québécois et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain ont estimé que le bureau s’était engagé dans une analyse illégitime. La Chambre considère que l’élargissement de l’analyse crée un précédent inquiétant et jette une ombre sur la légitimité de l’organisation. »

Selon La Presse « Déjà, lors des audiences publiques, les représentants de la Caisse s’étaient clairement montrés agacés par l’intérêt des commissaires sur des questions comme l’achalandage et la rentabilité du réseau à venir. Ce mécontentement a été communiqué à tout le gouvernement lors des débreffages réguliers sur le cheminement des audiences publiques ». Le Devoir indiquait que selon le premier ministre « Les analyses économiques, ce type d’étude-là, je ne suis pas certain que c’est dans leur mandat précis de faire ça».

Or, ce type d’analyse est dans le mandat du BAPE depuis près de 30 ans, soit depuis que l’évaluation des impacts des projets doit tenir compte des aspects environnementaux, sociaux et économiques du développement durable. Voici quelques rappels historiques pouvant être utiles à M. Couillard et à ceux qui pensent  comme lui :

En 1988, le gouvernement Bourassa assure l’édition française du rapport de la commission Brundtland qui fait connaître mondialement la notion de « développement durable ». En 1990, le ministre responsable de l’environnement de l’époque, M. Pierre Paradis, mandate pour la première fois le BAPE d’examiner un projet « dans une perspective de développement durable ».

En 1992, la Déclaration de Rio officialise cette notion devenue aujourd’hui incontournable. Cette même année, la Cour suprême rend le jugement Friends of the Oldman River Society où elle indique que le concept de « qualité de l’environnement » ne se limite pas à l’environnement biophysique. Depuis 2001, la note explicative sur la mission du BAPE qui ouvre tous les rapports, dont celui sur le REM, fait explicitement référence au développement durable. Elle indique :

« Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a pour mission d’éclairer la prise de décision gouvernementale dans une perspective de développement durable, lequel englobe les aspects écologique, social et économique. […] Organisme assujetti à la Loi sur le développement durable (RLRQ, chapitre D-8.1.1), le BAPE prend en compte les seize principes de la Loi dans ses travaux. »

En 2006, c’est sous le gouvernement Charest qu’est adoptée la Loi sur le développement durable. Parmi les principes juridiques qui y sont reconnus, celui « d’efficacité économique», tout comme ceux « d’équité et de solidarité sociale » et de « protection de l’environnement ».  Le BAPE est un organisme assujetti à cette loi et dépose un rapport annuel sur cette question à l’Assemblée nationale.

Il est donc déplorable de voir un premier ministre, ainsi que son ministre des Transports, méconnaître les obligations et la portée des travaux du BAPE et faire si peu de cas d’un processus de consultation publique où 108 mémoires ont été déposés par des personnes, des groupes, des organismes et des municipalités intéressés par ce projet. On se surprendra ensuite de la montée du cynisme et des idées populistes face au pouvoir politique!

En 2006, nous avions assisté au même genre de discours en réaction au rapport du BAPE mettant en doute les données économiques et énergétiques avancées par Hydro-Québec et TransCanada quant à la nécessité de construire la centrale au gaz thermique de Bécancour, faute de quoi le Québec se trouverait en pénurie électrique à partir de 2015. Si on avait alors tenu compte du rapport du BAPE et de la consultation publique, nous aurions économisé plus d’un milliard de dollars de fonds publics versés depuis à TransCanada pour garder sa centrale fermée parce qu’Hydro Québec nage dans les surplus ! Face à un projet de transport de près de 6 milliards de fonds publics gérés par la Caisse de dépôt, les mises en garde du BAPE et les opinions exprimées lors des audiences devraient être analysées plutôt que rejetées du revers de la main.